Marie Jaëll-Trautmann (1846-1925) dédia sa vie entière à son art, soucieuse de faire coïncider la beauté d’une sonorité et la vérité de son interprète. Elle développa dans de nombreux traités l’extraordinaire pouvoir des mains et l’importance primordiale de la pulpe des doigts : par un long travail conscient, l’artiste peut de son toucher soumettre le mécanisme du piano à la sensibilité du pianiste. Rien ne peut la dévier de cette quête fervente qu’elle-même nomme « frénésie » dans son journal. Marie Jaëll est une artiste, certes, entièrement dévouée au service de son art, une artiste multiple, interprète de génie, compositeur original, une pédagogue révolutionnaire, mais bien plus : un esprit créateur qui a cherché les liens qui pouvaient unir l’homme aux mystères de l’art. Les diverses étapes de sa vie et ses intérêts successifs l’ont amenée à se plonger dans des domaines passionnants que son esprit curieux a voulu approfondir et unir à son art : la musique. De là, la richesse de cette œuvre qui est le résultat d’une longue vie de travail, de réflexion, de rencontre avec des grands esprits. Son but, son désir, est de chercher à dégager la conscience de l’interprète, de percevoir ce lien qui unit la cause à l’effet, la pensée musicale de la sensibilité tactile, le cerveau et la main. « Tout ce qui reste inconscient est imperfectible ». A la suite de recherches approfondies sur ces liens qui unissent le pianiste à son instrument, Marie Jaëll définit une méthode, appelée méthode du Toucher, basée sur la connaissance de la physiologie et le développement de la sensibilité tactile. Savoir exprimer et retrouver le langage musical d’une œuvre, revient à savoir relier les sons d’un groupe entre eux, donc revient à savoir comment sentir et préparer sa main pour exprimer ce langage des sons. Mais cette prise de conscience des liens sensoriels qui unissent le pianiste à son instrument trouve une résonnance plus profonde en nous : une prise de conscience totale de ce que nous sommes et de ce que nous pourrions être. Marie Jaëll touche ici au problème complexe de la nature humaine, et franchit les barrières de la psychologie de l’homme. « Explorer l’inconscient dans le sous-sol de l’esprit avec des méthodes spécialement appropriées, telle sera la tâche principale du siècle qui s’ouvre» a dit Bergson. Et telle est la tâche qu’a poursuivie Marie Jaëll : libérer nos ressources, les dégager de l’ombre, pour les mettre au service de l’expression musicale. La passion de comprendre l’Art passe par une autre passion : la science. La science devient l’alliée de Marie Jaëll, et l’étude de la géométrie, de la physique, de la physiologie, l’aide à définir un enseignement judicieux, qui révèle au musicien les lois secrètes de l’esthétique. Les moyens actuels des neurosciences fournissent aujourd’hui des confirmations de ce qu’elle avait avancé. |