Présentation de Marie Jaëll

Il y a un siècle vivait une femme exceptionnelle, pianiste concertiste, compositrice et surtout pédagogue : Marie Jaëll. Par ses observations, sa pratique et de longues recherches, elle a mis au point une approche pédagogique brillante et révolutionnaire pour l’enseignement du piano, ce que l’on appelle la Méthode Jaëll. Respectée par nombre de ses contemporains tels Franz Liszt, César Frank, Gabriel Fauré ou Camille Saint-Saëns, sa méthode est parvenue jusqu’à nous grâce à ses élèves et l’intérêt de grands maîtres du piano ou pédagogues comme Dinu Lipatti qui l’ont appréciée pour développer leur approche musicale et l’art de l’interprétation.

L’enjeu est grand : il ne s’agit pas moins que de comprendre les rapports entre la pensée, le corps et l’instrument, puis de savoir exploiter ces connaissances avec intelligence et sensibilité. Cette approche ne peut sembler qu’évidente, car l’interprétation musicale suit bien ce chemin : depuis l’intention musicale d’une expression sensible jusqu’à l’exécution physique par des mouvements sur un instrument qui va produire des sons et finalement aboutir à une musique qui doit transmettre la sensibilité intentionnelle initiale.

Les recherches de Marie Jaëll se sont orientées autour de la compréhension et de l’interprétation de la musique : son expression et son langage. Comment avec justesse, précision et fidélité redonner vie aux notes d’une partition posées sur le papier par le compositeur. Comment restituer à l’oreille de l’auditeur cette structure, à la fois mathématique et émotionnelle, abstraite et sensorielle. Comment utiliser ses yeux, ses oreilles, son toucher, et  ses mains avec un instrument.

Marie Jaëll avait pressenti des choses qui étaient difficiles, voire impossible, à approfondir avec les moyens de son époque, mais elle a su utiliser les moyens à sa disposition et s’est ainsi, surtout vers la fin de sa vie, consacrée à ses recherches avec une approche très scientifique, en particulier par le biais de la physiopsychologie, alors novatrice, en travaillant avec un médecin, le Docteur Charles Féré. Cette méthode se trouve aujourd’hui validée et affermie par les recherches récentes, notamment les neurosciences qui corroborent le bien-fondé de la démarche initialement proposée.


A écouter sur France Musique :

une série de 5 émissions sur Marie Jaëll, par Anne-Charlotte Rémond

Biographie

Née en 1846 à Steinseltz en Alsace, Marie Jaëll commence le piano à l’âge de 6 ans. Parcourant l’Europe et les cours princières, à 10 ans déjà elle donne à Paris une série de sonates avec le violoniste Guillaume Bauerkeller qui n’a lui-même que 13 ans. A 20 ans, elle épouse un pianiste, Alfred Jaëll, avec lequel elle poursuit sa vie brillante de virtuose, et c’est à 22 ans qu’elle rencontre Liszt.

En l’écoutant jouer à Rome, elle découvre « des facultés auditives » qu’elle ne pensait pas avoir. Agée de 35 ans, c’est après la mort de son époux qu’elle vit un grand tournant de sa vie.

Invitée à Weimar par Liszt, elle entame une longue période d’observation du pianiste et du compositeur et constate que le jeu du célèbre professeur obéit à des lois qui étaient, à l’époque, insoupçonnées.

Elle sera l’une des premières femmes admises à la Société des Compositeurs de Paris. Interprète remarquable, elle donnera l’intégrale pour piano de Liszt et de Schumann, et sera la première à jouer les 32 Sonates de Beethoven. Mais à 45 ans elle renoncera à la gloire d’une vie « publique » pour se consacrer entièrement à la recherche des « lois artistiques », en étudiant les sciences telles l’anatomie, la physiologie, la physique, la chimie, les mathématiques, la psychologie.

S’il fallait en quelques lignes caractériser la pensée, l’œuvre et la méthode de Marie Jaëll, rien ne conviendrait mieux que cette citation extraite d’un de ses ouvrages! « Le corps et l’esprit, le mouvement et la pensée sont une même force. L’énergie du mouvement est en rapport avec l’intensité de la représentation mentale de ce même mouvement ».

II s’agit de promouvoir chez le pianiste ou chez ceux qui pratiquent d’autres instruments, un travail, tout d’intensité intérieure, qui associe divers « états » de motricité, de sensorialité et de conscience jusqu’aux « représentations mentales » qui les lient les uns aux autres et qui sont garantes de l’unité intérieure de l’artiste.

Telle est en somme la démarche si étonnamment moderne de cette « grande femme » qui au tournant si fécond des deux siècles, après avoir connu les triomphes aristocratiques des virtuoses sut, la quarantaine venue, se retirer jusqu’à sa mort dans le secret de son laboratoire intime, ne cultivant plus dans le monde que quelques relations choisies.

Livres, articles de/sur Marie Jaëll